« Emma, notre fille de 4 ans, a 2 amis imaginaires : une certaine Lola avec
laquelle elle partage ses fous rires et ses bêtises, et Tom, leur lapin, tout
aussi invisible à nos yeux. Elle se comporte avec eux comme si ils faisaient
partie de la famille. Lorsqu’il s’est agi de leur faire une place dans la
voiture lors du départ en vacances, nous nous sommes inquiétés.
J‘en ai parlé autour de moi, au pédiatre et aux éducatrices de jeunes
enfants, et on m’a rassuré en me disant qu’au contraire cela faisait travailler
l’imagination de l’enfant et qu’il n’y avait rien d’alarmant« .
Un ami imaginaire, qu’est-ce que c’est ?
Un ami imaginaire (ou compagnon imaginaire) est un personnage, inventé par l’imagination d’un enfant, avec lequel il entretien des liens d’amitié. Ce type de personnage possède souvent une personnalité. Il se créé durant
l’enfance, ou même parfois à l’adolescence. Il est très fréquent et reflète, d’après de nombreuses études sur la psychologie, les peurs, les désirs et les perceptions du monde dans lequel l’enfant se développe. Il exprime une partie
du potentiel créatif de l’enfant.
Est-ce normal ?
On estime qu’environ les 2/3 des enfants ont à un moment ou à un autre entre 3 et 8 ans un ami imaginaire.Il se présente généralement sous 3 formes : les amis invisibles, les animaux invisibles (chien, chat, souris…) ou des objets ou
personnages qu’ils rendent vivants (poupées, figurines, peluches). Ce phénomène n’est donc pas relié à un quelconque problème, mais à une forme d’imagination débordante et saine en soi.
L’intensité et ladurée de cette phase varient beaucoup d’un enfant à l’autre: certains parents ne s’en rendront pas compte
alors que d’autres devront faire face à une tribu avec laquelle il faut composer au quotidien.En général ce phénomène s’estompe graduellement, surtout avec l’entrée à l’école, période pendant laquelle l’ami imaginaire fait souvent place à de vrais amis, bien réels.Ce personnage apparait souvent au cours de la phase œdipienne, entre 3 et 5 ans, alors que le petit ne fait pas encore la différence entre le réel et le fictif. Lors de la période dite de latence entre 6 -11 ans, ou à l’adolescence, l’apparition d’un ami imaginaire peut être là pour combler des moments d’incertitude tout à fait normaux du développement de la personnalité, surmonter des épreuves de séparations ou d’adaptabilité (changement d’école, déménagement, arrivée d’un petit frère, séparation des parents) ou exprimer la richesse d’une imagination particulièrement débordante. L’ami imaginaire peut donc, par un jeu de miroirs, permettre de mieux comprendre les besoins de l’enfant et sa personnalité.
Chez l’adolescent, en pleine construction identitaire, l’ami imaginaire est là pour se rassurer narcissiquement, se confier, jouer tous les rôles sans être jugé ni rejeté. Nul besoin d’entrer dans un moule : l’ami imaginaire peut tout entendre et comprendre.
De récentes recherches ont permis de mieux comprendre les rapports et l’impact entre l’imaginaire d’un enfant et son environnement social. Centrées sur les compagnons imaginaires utilisés par certains enfants de 3 à 6 ans, elles se sont précisément attachées à définir « si ce recours à des –amis- non réels (ami invisible, animal en peluche personnifié…) s’expliquait par la pauvreté ou l’absence de relations sociales avec leurs camarades. En fait, les résultats vont à l’encontre de l’hypothèse d’une utilisation compensatrice, puisque les enfants concernés sont globalement appréciés par leurs pairs et ont un réseau amical aussi riche que les autres ».
Ces études ont également démontré que l’enfant avait davantage tendance à confondre fiction et réalité lorsqu’il s’agissait d’entités auxquelles l’entourage social les incitait à croire, comme le Père Noël ou les Cloches de Pâques. Ces études ont donc conclu que « si l’imaginaire de l’enfant appartient en premier lieu à son monde interne, il n’est donc pas déconnecté du monde extérieur ». Tracy R. Gleason, « Imaginary companions and peer acceptance », International Journal of Behavioral Development, vol. XXVIII, n° 3, mai 2004. Tanya Sharon et Jacqueline D. Woolley, « Do monsters dream? Young children’s understanding of the fantasy/reality distinction », British Journal of Developmental Psychology, vol. XXII, n° 2, 2004.
Ce thème est devenu tellement populaire que même le fameux jeu des
Sims s’y est mis en introduisant un ami imaginaire dans sa série « les Sims 3″.
Le film Vice-versa : un excellent support pour expliquer les …
https://papapositive.fr/vice-versa-un-excellent-support-pour-expliquer-les-emotions…
Le film aborde aussi le thème des rêves, des cauchemars, de la pensée, du subconscient ou encore de l’ami imaginaire. Pour conclure, je dirai que Vice-Versa est un excellent support de discussion et de vulgarisation pour aborder le sujet des émotions, de la mémoire et du fonctionnement du cerveau. Je vous conseille de compléter le film …
A quoi ça sert?
Pour les psychologues, rien d’anormal apparemment D’après eux, il s’agit d’un « double soi », permettant au jeune enfant de projeter ses désirs et ses préoccupations ; d’aménager un espace transitionnel avec une présence rassurante comme avec le doudou ; de permettre à l’imaginaire de se développer. Nous parlons « d’une fonction dans le développement psychique de l’enfant » L’enfant, fait preuve de créativité et d’intelligence pour échapper à des contraintes ou pour trouver des solutions à son ennui, à sa solitude. Il s’appuie sur ce compagnon imaginaire pour développer son autonomie, être moins accroché aux adultes. Il projette fréquemment ses pulsions, ses émotions et sentiments tels que la peur, les gros chagrins, la colère, la jalousie dans la relation à ce compagnon fictif. Cela peut être une façon d’attirer l’attention ou au contraire par besoin de se créer un jardin secret.
Cet ami peut l’aider à découvrir et à trouver sa propre identité, à se mettre dans la peau de différents personnages, à
interagir avec eux avant d’affronter la réalité. En lui offrant la possibilité de jouer « pour de faux » avec son ami, il apprend à se connaître lui-même et à s’aventurer pour découvrir le monde.
Cette capacité à passer par une « autre réalité » peut se développer par exemple, dans un talent de romancier. Stephen King a ainsi eu pendant l’enfance un ami imaginaire nommé Jerry. Robert Louis Stevenson parlait à des personnages qu’il appelait « brownies » ; quant au politicien et écrivain Machiavel, il entretenait de longues discussions au cours de dîners avec des invités, qu’il était le seul à voir.
En termes techniques, on dit d’un enfant qui parle tout seul à haute voix qu’il « soliloque ».
Rappelons que Saint Augustin à démontré dans ses Soliloques que parler tout seul était une façon de se retrouver, de faire face à soi-même avec sincérité.
Quand faut-il s’inquiéter?
Les parents doivent s’inquiéter de cette présence imaginaire, lorsqu’elle devient réellement trop envahissante dans la vie de l’enfant. Quand il fait des crises d’angoisse si ce compagnon « n’est pas là », que cette soliloquie tourne à l’obsession, que cela le coupe de son entourage, qu’il s’isole et déprime et ne vous parle plus que de façon incohérente.
Si l’on sent que son enfant se perd dans un monde coupé de la réalité ou qu’il se sert de ce compagnon imaginaire pour vous mentir et vous manipuler éhontément : « J’ai mis un holà à ce copain derrière lequel mon fils se réfugiait pour expliquer ses bêtises ». Il nes’agit pas de rentrer dans un jeu pervers qui sous entendrait que la limite entre le vrai ou le faux n’existe pas.
D’où l’importance de ne pas s’adresser directement à l’ami en question. Vous pouvez même lui dire que vous ne voyez pas cet ami et que c’est son envie d’avoir un espace personnel, un « copain », qui lui fait croire qu’il existe. En écoutant votre enfant parler de cet ami, vous en saurez un peu plus sur les émotions, les désirs et le caractère de votre enfant.Engénéral, il sait très bien que ce personnage n’existe pas réellement. Ce n’est donc pas une « hallucination », mais plutôt une façon de jouer. Au même titre qu’il va se construire un « château fort » dans sa chambre avec des cartons et des coussins, sans pour autant perdre de vue que ce n’est pas un château « pour de vrai! ».
Si ce « compagnon imaginaire » l’empêche de construire des liens d’amitiés avec des copains « réels » et que l’enfant est trop replié sur l’exclusivité de cette relation, un spécialiste pour enfants peut vous aider à comprendre ce qui se joue dans cette
mise en scène. Dans le cas où l’enfant se ferme au monde en gardant seulement son ami imaginaire, il faudra aller consulter un spécialiste qui l’aidera à dépasser la peur des autres enfants : de tout ce qu’il ne contrôle pas en dehors de son ami imaginaire.
Quelques fois, on est amené à s’interroger sur la nature de ce personnage.
Surtout si votre enfant vous raconte que cet ami imaginaire n’est pas de son âge ; que c’est un « adulte » ou qu’il est menaçant. Certains psychologues pensent qu’il existe la possibilité que votre enfant voie le monde invisible et que ses amis existent « réellement ».
Cette éventualité est un thème délicat. En parler à un professionnel de la vie spirituelle et à un spécialiste averti pour opérer un discernement peut être nécessaire. Car une personne qui vit avec le Ciel vit aussi et avant tout dans le monde des hommes incarnés.
Livre pour comprendre : Le monstre de Milos – Agnès DE LESTRADE (Ed.Milan)
Milos a un monstre. Son monstre. Il est toujours auprès de lui, à la maison ou dans la cour de récré. Toujours là pour rire, jouer ou partager les petits moments de solitude. Pourtant, parfois, Milos aimerait bien se débrouiller tout seul, sans son monstre…
A faire et à ne pas faire :
L’imaginaire d’un enfant doit l’aider à grandir, pas le couper du monde de la réalité. Lorsque l’écoute affectueuse, le recadrage et la fermeté ne suffisent pas, il faut alors consulter un spécialiste.
Respecter le jardin secret de son enfant tout en s’intéressant à ce qu’il fait, ce qu’il aime et comment il se sent.
Être fier de l’enfant qui devient autonome, pas jaloux qu’il ait déjà des rêves en dehors de vous.
Accepter qu’il ait un ou plusieurs compagnons fictifs sans leur donner trop d’importance au risque de cautionner la confusion entre le « vrai et le faux ».
Ne pas se moquer de ses rêves, de ses jeux à « faire semblant », de ses questions. Toutes les allusions du type « c’est idiot,
tu ne peux pas parler avec quelqu’un qui n’existe pas! », risquent de blesser l’enfant et à l’inciter à se replier davantage sur
lui-même. De plus, trahi dans sa confiance et incompris, il sera sans doute réticent pour partager d’autres secrets avec vous.
Savoir dire « je ne sais pas », tout en l’aidant à chercher et à comprendre. Livres, documentaires, musées, école de la nature :
de multiples supports vous permettent de l’aider.
Se renseigner auprès des enseignants pour savoir si l’enfant joue avec ses camarades de classe, s’il n’a pas de soucis d’intégration, s’il participe à la vie de l’école.
Grâce à ce personnage qui n’existe que pour lui, votre enfant construit son identité de façon créative et gère les conflits et
les doutes qu’il rencontre en grandissant.
Comme pour chaque principe éducatif : écoute, respect, protection, fermeté et bienveillance sont les alliés des parents et des
éducateurs pour aider l’enfant à s’ancrer dans la réalité tout en gardant la faculté de s’émerveiller et d’être créatif.
Pour aller plus loin :
Des films
« Le Secret de Kelly-Anne », 2006 (film pour enfants)
« Trouble jeu », 2005 (film pour adultes)
« Sixième sens » 2000 (film pour adultes)
« La cité des anges » 1998 (film pour adultes) » présents
toujours mais invisibles à nos yeux ».
Des livres
« L’enfant parmi les autres, se construire dans le lien social » Milan, A. Beaumatin et C. Laterrasse
« Parler à ses enfants » Odile Jacob, Dr Antoine Alaméda
« L’imaginaire » Bayard, coll. La vie de famille, 2004. Anne Gatecel.
« Mon copain est un fantôme! »Patricia Serin. Article sur le n°14 du Magazine Inexploré, 2012.
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Un petit cours de psychologie autour de l’imaginaire infantile (extraits, Patricia Serin)
L’amitié est un un lien particulier, fait de complicité, de communication et de partage
qui unit deux êtres, ou un groupe de personnes, n’appartenant pas à la même famille.
L’imagination est la faculté de se représenter les formes par la pensée, l’imaginaire étant le contenu de ce qui est produit par cette fonction. Cet imaginaire peut se concevoir comme une sorte de territoire intime et propre à chacun dans lequel celui-ci exerce sa faculté d’imagination. Ceci sans les barrières et les contraintes de la réalité. Il s’agit d’un caractère
individuel, privé et donc, d’un pouvoir de la pensée. Il peut aussi se manifester dans le processus de créativité : les jeux, le dessin, la peinture, le modelage, la poésie (etc.) sont des expressions de l’imaginaire.
L’imaginaire tient une place essentielle dans la construction et la cohésion de la vie psychique. Il nous accompagne dans toutes les étapes de notre existence. En prise directe avec la rêverie maternelle, l’imaginaire du bébé passe de la phase d’indifférenciation à celle d’un espace transitionnel, puis au jeu symbolique permettant à l’enfant de se penser de manière autonome. Progressivement, la mère et tout le corpus socioculturel dans lequel baigne l’enfant, donnent des interprétations et du sens aux expériences de l’enfant. En surmontant les angoisses liées à la séparation et grâce au bain de langage qui l’accompagne, le petit investit des objets extérieurs au corps maternel ; son imaginaire peut alors exister indépendamment de celui de la mère. Le processus d’individualisation est en route.
Pour de nombreux auteurs, à la fois théoriciens et praticiens de la psychologie, l’imaginaire du bébé est d’abord celui de sa mère. La capacité de rêverie maternelle initie un processus de pensée dès le premier mois de vie et tout au long de la phase dite d’indifférenciation entre le bébé et sa mère. (A. Freud, M. Klein, J. Piaget, Winnicott, F. Dolto, etc.).
W. Bion montre que c’est la mère qui donne sens aux vécus du tout-petit, les mobilise en l’interprétant, les expériences
du bébé acquérant ainsi une signification. Peu à peu au fil des expériences de séparation, le bébé commence s’individualiser : c’est le premier espace de pensée appelé l’aire transitionnelle (Winnicott), dans laquelle le bébé choisit un objet qu’il est capable de penser.
Tout au long du développement, d’autres processus symboliques vont se manifester dans un espace qui s’agrandit. Le jeu
symbolique puis le langage témoignent de ces progrès. L’imaginaire peut alors exister indépendamment de celui de la mère. C’est le processus d’individualisation qui amène le bébé à penser d’une manière autonome.
Le jeu est un élément essentiel de la construction psychique, physiologique et sociale d’un enfant. Il s’exprime dans les activités corporelles et sensorielles dès les premières semaines de vie : les contacts, les sons échangés et modulés avec l’entourage, les sensations, les odeurs et les images sont autant d’activités propices à la création d’espaces imaginaires. Après ces jeux de percevoir et explorer, vient le jeu de l’avoir et du garder des premières années. L’enfant apprend à distinguer et comparer, assembler/désassembler, remplir/vider, construire/démolir ; puis l découverte consciente de la différence des sexes, le jeu du papa et de la maman, les jeux de pouvoir et de rivalité, les jeux d’alliances complices, de projections et d’identifications.
Au cours de ces jeux, l’enfant se sert de son imagination pour appréhender le réel, mais aussi pour s’évader et se réfugier
dans un monde bien à lui.
Le jeu est indispensable à l’enfant pour grandir, l’expression de son imaginaire est un indice de bonne santé mentale.
Patricia Serin, Novembre 2011.
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