Petite phrase entendue récemment sur les ondes radio.
« Ma retraite, je peux en faire mon deuil ! »…
Il est question ici de renoncement dans la douleur alors que l’on ne voulait pas y croire, que l’on a pu se révolter, s’angoisser à l’idée de ne pas pouvoir prendre sa retraite dans les conditions espérées.
« (En) faire son deuil » est devenu une expression populaire, bien loin du deuil supporté après le décès d’un être cher. On y retrouve cependant cette dimension de souffrance, tristesse, épreuve affliction… La racine éthymologique est explicite : Deuil vient du latin dolor : douleur.
Communément, le deuil se définit comme la période qui suit la mort d’un proche. C’est une notion à la fois psychologique et sociale. Psychologique, car la personne endeuillée entre dans une période de tristesse et de remise en cause ; (voir plus loin, les phases du deuil). Sociale, car au-delà du remaniement des relations avec autrui, la mort est vécue différemment selon les coutumes et les cultures.
On parle de travail du deuil car c’est un processus actif et douloureux (Cf article « le stress au travail » sur le présent blog ; Travail = tripalium = objet de torture) Dans certains cas, (décès d’une personne tyrannique ou mort à l’issue d’une agonie longue et douloureuse), la mort est vécue comme une délivrance. Mais s’ajoutent alors des sentiments de remords, de culpabilité et de manque après un 1er effet de soulagement.
En psychanalyse, Freud remarque chez ses patients confrontés à la mort d’un proche, un manque d’intérêt pour le monde extérieur. Tout semble se passer comme si toute l’énergie du sujet était accaparée par sa douleur et ses souvenirs. (« Deuil et mélancolie » 1915). Le travail de deuil est une élaboration psychique qui consiste à relier les impressions traumatisantes.
Pour Freud, il existe non seulement une différence entre le deuil normal et le deuil pathologique, mais également une graduation l’amenant à parler des deuils pathologiques pouvant prendre plusieurs visages :
– se tenir pour coupable de la mort survenue,
– nier cette mort,
– se croire influencé par le défunt (voire, à un degré supplémentaire, possédé par le défunt),
– se croire atteint de la même maladie ayant entraînée la mort (identification autopunitive).
Enfin, deuils normal et pathologique se distinguent de ce que Freud appelait la mélancolie. « La mélancolie se caractérise du point de vu psychique par une dépression profondément douloureuse, une suspension de l’intérêt pour le monde extérieur, la perte de la capacité d’aimer, l’inhibition de toute activité et la diminution du sentiment d’estime de soi qui se manifeste en des auto reproches et des auto injures et va jusqu’à l’attente délirante du châtiment. »
Le deuil est un phénomène normal. Freud écrivait à l’époque : « Nous comptons bien qu’il sera surmonté après un certain temps et nous considérons qu’il serait inopportun et même nuisible de le perturber.
Avant l’approche psychanalytique, le deuil était perçu comme un phénomène psychique allant de soi, caractérisé par l’atténuation progressive de la douleur provoquée par la mort d’un être cher. Les rituels, les coutumes, les obligations juridiques, morales et religieuses encadraient l’événement. Aujourd’hui, la mort est à l’hôpital, loin des regards, … elle est devenue un sujet tabou. le phénomène de deuil survient évidemment après un décès mais on le retrouve également à d’autres occasions :
Séparation, divorce, éloignement d’un être cher, perte, ou toute forme de déchirure intérieure reliée à un être ou une situation sans retour possible apparent ou réel. … Comme cet espoir de retraite dont on doit faire le deuil.
Les travaux de la psychiatre Elisabeth Kùbler-Ross (1926-2004), ont mis en avant cinq étapes lors du travail de deuil :
1. La personne confrontée à une perte, refuse d’abord le fait ou cherche un bouc émissaire : c’est la phase de la négation, du déni.
2. La colère, où se mêlent l’amertume, la révolte et le sentiment d’injustice.
3. Lorsque renaît temporairement un espoir, on voit apparaître le marchandage.
4. La tristesse est une étape marquée par un intense sentiment de solitude pouvant parfois aller jusqu’à la dépression.
5. L’acceptation, où la personne prend la décision de vivre avec la réalité, aussi douloureuse soit-elle.
D’autres auteurs ajoutent 3 étapes :
1. Le choc, survenant avant le déni. Sous l’effet de l’annonce, la personne est en état de sidération, sans émotion apparente. (Pasteur Christophe Deville).
2 . La reconstruction, étape au cours de laquelle la personne fait appel à de nouvelles ressources, apprend à mieux se connaître et à avoir davantage confiance en elle. c’est un chemin d’accomplissement, d’individuation (Jung).
3. l’accueil ou la résilience : c’est l’intégration de l’expérience qui nous a transformé et grandi. Le processus de deuil a permis de mettre en avant des ressources nouvelles sur lesquelles on s’appuie pour mieux vivre le présent et se projeter positivement dans l’avenir. Cette étape de transformation bénéfique a été popularisée sous le nom de résilience par l’éthologue Boris Cyrulnik.
Ne manquez pas les films de Valérie Seguin et Dominic Bachy : Après leur 1er documentaire « Et si la mort n’existait pas », découvrez la suite ET SI LA MORT N’ETAIT QU’UN PASSAGE aujourd’hui en ligne. Leur premier film étant gratuit, celui-ci est en VOD afin de tenter de rembourser leur frais !
Patricia Serin. Oct.2019
Pour aller plus loin: nous vous conseillons les sites et les livres suivants :
« Vivre le deuil au jour le jour » de Christophe Fauré. Edition Albin Michel 2004
www.vivresondeuil.asso.fr – La fédération européenne « vivre son deuil » anime des ateliers pour adultes, adolescents et enfants.
D’Elisabeth Kùbler-Ross : « La mort est un nouveau soleil ». Pocket 2002.
« Trois jours et demi après la mort de mon père » de Valérie Seguin
La semaine prochaine, un second chapitre sera consacré à la façon dont on peut parler de la mort aux enfants. Si vous avez des questions sur ce thème, n’hésitez pas à me les soumettre.
— Les Rêves en fin de vie, de Nicole Gratton et Monique Séguin ; Préface du Dr Patrick Vinay, médecin en soins palliatifs au Centre hospitalier de l’Université de Montréal.
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